le diagnostic des anomalies génétiques du métabolisme du fer se confond avec celui des hyperferritiémies.

Le fer circulant transite sous forme liée à la transferrine (9) et le fer cellulaire est stocké au sein de la ferritine (9). Le dosage de la ferritine sérique renseigne sur le stock en fer de l’organisme (8). A tort ou à raison, il est de plus en plus souvent demandé dans le cadre de bilans biologiques de routine. Le clinicien se trouve donc régulièrement confronté à des valeurs anormales de ferritinémie. Si une hypoferritinémie oriente à coup sûr vers une carence martiale, une hyperferritinémie n’est absolument pas synonyme de surcharge en fer et appelle une démarche diagnostique rationnelle fondée, avant tout, sur une bonne approche clinique et l’interprétation rigoureuse de quelques autres examens complémentaires simples.

QUAND DEMANDER UN DOSAGE DE LA FERRITINE SERIQUE ?

Un dosage de la ferritinémie (8) est indiqué lorsqu’il y a suspicion de carence ou de surcharge en fer. Ces deux situations opposées partagent un même symptôme d’appel, l’asthénie chronique, dont la fréquence dans la population explique en partie l’inflation de demandes de bilans martiaux. Pour ce qui concerne les surcharges en fer, outre l’asthénie, les signes les plus souvent révélateurs sont ceux liés à une arthropathie ou à une hépatopathie. Plus rarement, il s’agit d’un état diabétique ou prédiabétique et, très exceptionnellement, de symptômes cardiaques (troubles du rythme, insuffisance cardiaque), gonadiques (impuissance) ou neurologiques (syndrome extrapyramidal, démence).

QUAND CONSIDERER QU’IL Y A HYPERFERRITINEMIE ?

Les normes du taux sérique de la ferritine varient selon les kits de dosage utilisés, les modalités de sélection des sujets contrôles, le sexe et l’âge. Déterminée selon la technique classique de chimiluminescence (LIA sur ADVIA-CENTAUR) et exprimée en µg/l (ou ng/ml), la ferritinémie normale s’inscrit entre 55 et 345 chez l’homme, 13 et 76 chez la femme en période d’activité générale et 29 et 166 chez la femme ménopausée. Il est donc important d’interpréter un taux de ferritinémie en fonction du sexe et, s’il s’agit d’une femme, selon qu’elle est ou non ménopausée. Ainsi, une ferritinémie de 180 µg/l, normale chez un homme, témoigne d’une hyperferritinémie chez une femme réglée.

COMMENT INTERPRETER UNE HYPERFERRITINEMIE ?

Les mécanismes conduisant à une hyperferritinémie sont au nombre de  2 : la lyse cellulaire (essentiellement hépatique et musculaire) et l’augmentation de synthèse par induction (alcool, inflammation, surcharge en fer…) ou par dérégulation génétique (mutation sur le gène de la L ferritine).

4 causes d’hyperferritinémie

En pratique, 4 causes d’hyperferritinémie, parfois intriquées, prédominent. Il convient de les considérer avant toute autre démarche car, du fait de leur extrême prévalence dans la population générale, elles rendent compte de la quasi-totalité des cas d’hyperferritinémie identifiés dans le cadre d’un bilan systématique :

  • Le syndrome inflammatoire
  • Les lyses cellulaires
  • La consommation excessive d’alcool
  • Le syndrome métabolique

Le syndrome inflammatoire.

Toute inflammation, qu’elle soit générale ou tissulaire, est susceptible d’élever la ferritinémie, parfois jusqu’à 1000 µg/l  dans les inflammations aiguës ou chroniques communes, exceptionnellement jusqu’à 10.000 comme dans la maladie de Still ou les syndromes d’activation macrophagique. Le mécanisme de cette augmentation est une induction de synthèse sous l’effet des cytokines pro-inflammatoires, la ferritine pouvant être considérée comme une protéine de l’inflammation. Dans cette situation, sidérémie et saturation de la transferrine sont habituellement diminuées, ce qui doit orienter le clinicien. Mais ce n’est pas toujours le cas. Le corollaire est qu’on ne peut pas interpréter valablement une hyperferritinémie sans disposer d’un dosage de la C reactive protein (CRP) réalisé conjointement.

Le syndrome métabolique.

Une hyperferritinémie – en règle modérée, c’est-à -dire de l’ordre de 500 µg/l - est fréquente au cours du syndrome métabolique. Son taux est proportionnel au degré d’insulino-résistance. Son mécanisme est mal compris et, vraisemblablement, multifactoriel. Pourraient intervenir dans sa production, plusieurs facteurs souvent associés : le discret syndrome inflammatoire qui accompagne le syndrome métabolique, les lésions de stéato-hépatite associées et l’existence d’une authentique surcharge en fer de faible intensité décrite sous le terme d’hépatosidérose dysmétabolique. L’interprétation d’une hyperferritinémie nécessite donc une bonne connaissance du terrain métabolique (index de masse corporelle, tour de taille, tension artérielle, bilans lipidique et glucidique…). Cette hyperferritinémie s’associe, dans la moitié des cas, à une stéatose ou une stéato-hépatite conférant au foie un aspect hyperéchogène… lequel est souvent décrit comme « foie de surcharge ». En fait, il s’agit bien d’un foie surchargé en graisse et non en fer, la surcharge en fer ne modifiant pas l’échogénicité hépatique.

Les lyses cellulaires.

 Toute cytolyse, quelle qu’en soit l’origine, hépatique, musculaire, et, à un moindre degré, globulaire rouge ou médullaire, s’accompagne d’une élévation de la ferritinémie proportionnelle à l’importance de la destruction cellulaire. L’interprétation d’une hyperferritinémie nécessite donc de disposer également d’un dosage des taux sériques des ASAT (muscle et foie) et des ALAT (foie) ainsi que d’une numération sanguine.

La consommation excessive d’alcool

L’alcool est susceptible d’augmenter la ferritinémie par un mécanisme direct d’induction de sa synthèse et par deux mécanismes indirects, l’un par toxicité cellulaire (cytolyse) et l’autre par diminution de la production d’hepcidine, molécule clé de la régulation du fer systémique, avec, pour conséquence, le développement d’une discrète surcharge en fer. La détermination précise de la consommation quotidienne d’alcool fait donc partie de l’enquête étiologique d’une hyperferritinémie. Lorsque cette consommation est excessive, il convient d’effectuer un test de sevrage, dans la mesure où cela s’avère possible : la ferritinémie diminue significativement voire se normalise dans les 15 jours qui suivent l’arrêt de l’alcool.

Coefficient de saturation de la transferrine

En l’absence de ces 4 causes principales, l’enquête doit se poursuivre articulée autour de la détermination du coefficient de saturation de la transferrine (8). Cette détermination doit être effectuée dans de bonnes conditions techniques chez un patient à jeun prélevé sur le lieu de réalisation du dosage, lequel fera appel, pour la transferrinémie, à une technique néphélométrique. Quoiqu’il en soit, en cas d’augmentation de la saturation, il est souhaitable de vérifier le résultat dans la mesure où tout un arbre décisionnel générateur de coûts potentiellement importants en découle.

 

Si la saturation de la transferrine est augmentée (> 45%)

  • En présence d’une maladie hépatique évoluée, il s’agit vraisemblablement d’une surcharge en fer secondaire liée à une hypotransferrinémie et à une diminution de la production d’hepcidine par insuffisance hépatocellulaire chronique. Cette situation est fréquente, notamment dans les services d’hépatologie et en condition de bilan pré-transplantation hépatique. Elle ne doit pas conduire à une recherche systématique d’une hémochromatose génétique lorsque la cause de la cirrhose est connue.

  • En l’absence de maladie hépatique évoluée et après avoir discuté une possible dysmyélopoïèse compensée (sujet âgé, macrocytose, tendance anémique), le diagnostic d’hémochromatose génétique est recevable et la recherche d’une homozygotie C282Y sur le gène HFE apparaît tout à fait justifiée. La mise en évidence d’une telle homozygotie signe le diagnostic d’hémochromatose HFE. Son absence le fait rejeter et, devant un phénotype évocateur et, a fortiori, une ambiance familiale de surcharge en fer, conduit à poursuivre l’enquête par la recherche d’une hémochromatose non HFE. Il est souhaitable qu’une telle enquête soit pilotée par un centre de référence ou de compétence dans le domaine des surcharges en fer. Elle est susceptible de déboucher, chez un sujet jeune, sur le diagnostic d’hémochromatose juvénile par mutation du gène de l’hémojuvéline ou de l’hepcidine et, chez un sujet adulte, sur l’identification d’une surcharge par atteinte du gène du récepteur de la transferrine 2 et, de façon encore plus exceptionnelle, par mutation du gène de la ferroportine (Type B).

Si la saturation de la transferrine est normale voire abaissée

  • Le diagnostic d’hémochromatose génétique n’est pas recevable (sauf dans le cas où coexiste un syndrome inflammatoire ou un syndrome métabolique sévère qui sont susceptibles d’abaisser la saturation de la transferrine par augmentation de la synthèse d’hepcidine). Il n’y a donc pas lieu de demander un génotypage HFE.
  • Dans ces conditions, la question est posée de savoir si l’élévation de la ferritinémie témoigne ou non d’une surcharge en fer. Pour y répondre, il est conseillé de réaliser une IRM hépatique (8-5) qui, sous certaines conditions techniques et d’appareillage, est une méthode fiable de détection et de quantification de la charge hépatique en fer, laquelle est proportionnelle au stock en fer de l’organisme
    • En cas de surcharge en fer
      • Si elle est modérée (c’est-à-dire < 150 µmol/g), il s’agit, le plus souvent, d’une hépatosidérose dysmétabolique,
      • Si elle est marquée, une surcharge génétique par mutation du gène de la ferroportine (type A) ou de la céruloplasmine doit être recherchée.
    • En l’absence de surcharge en fer, il faut évoquer des causes exceptionnelles d’hyperferritinémie, soit acquises (maladie de Gaucher, dysthyroïdie, cancer…), soit génétique par mutation du gène de la L ferritine responsable d’une hyperferritémie avec ou sans cataracte.

Un bon examen clinique prenant notamment en compte les paramètres biométriques, une appréciation correcte de la consommation d’alcool et la prescription de quelques examens biologiques simples (NFS, ASAT, ALAT, CRP, saturation de la transferrine…) permettent d’aboutir au diagnostic étiologique de la plupart des cas d’hyperferritinémie, lesquels, en pratique courante, relèvent rarement d’une hémochromatose HFE et exceptionnellement d’une autre anomalie génétique du métabolisme du fer (1). Il est important que cette démarche diagnostique initiale soit correctement menée de façon à ne pas submerger les laboratoires de génétique moléculaire ainsi que les centres de référence et de compétence de cas « tout venant » d’hyperferritinémie.

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